mercredi 11 décembre 2013

Boomerang

Voici une histoire qui a été publié sur le blog TG AR TF French Caption, faites par Cyrille, un de nos membres actif très récemment, vous avez de la chance c'est comme un cadeau de Noël. Il en a écrit pleins d'autres sur TG AR TF French Caption, donc si vous voulez en savoir plus pour pouvoir y accéder cliquez  ICI et c'est gratuit.

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Boomerang
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Amal descend de l'avion. Elle est perdue dans ce grand aéroport qu'elle ne connaît pas. Elle n'a jamais vu le Maroc, ce pays où elle arrive. Pourtant, c'est son pays. C'est là où elle va vivre désormais. Les douaniers regardent ses papiers et dirigent sur elle des regards dominateurs. Une femme seule, ramenée de France après avoir été expulsée, pour eux c'est au mieux une misérable, au pire une putain. Ils lui font des petites remarques blessantes. « Alors, tu croyais avoir trouvé le paradis hein ? Regardes-toi maintenant !». « Tu as de la famille pour t'accueillir ? ». Non, Amal n'a personne. « Tiens-toi à carreau hein ! Ici, on n'est pas gentil comme là-bas ». « C'est bon, elle est en règle... Allez, va-t-en, on a perdu assez de temps ! » Amal supporte leur mépris sans broncher. Elle n'a rien à dire, elle n'est qu'une pauvre illettrée sans argent. Ces hommes en uniforme ont de l'importance, eux. Ils ont des droits. Ils ont tous les droits. Amal serre les mâchoires. Dire qu'il y a quelques semaines encore, elle était un homme elle aussi, un Français aisé, jouissant d'une bonne position sociale, avec un métier prestigieux.
Amal s'appelait alors Alexis. Il était publicitaire. Il était le patron d'une petite entreprise qui avait le vent en poupe et il gagnait bien sa vie. Suite à un héritage, il possédait plusieurs appartements dans Paris. Leurs loyers arrondissaient confortablement ses fins de mois, même si certains de ces logements n'étaient pas très bien situés. Ils se trouvaient dans des quartiers où l'on avait un peu plus qu’ailleurs des difficultés à se sentir Français. C'était du moins ce que pensait Alexis. Il se défendait d'être raciste, pourtant tout ce qui avait la peau un peu trop brune le mettait mal à l’aise. Il n'aimait pas ces gens-là, voilà tout, leurs accents et leurs coutumes l’horripilaient.
Un de ses appartements était au cœur de Barbès. Il était occupé par une femme au chômage, une Mauritanienne, qui n'arrivait plus à régler son loyer depuis plusieurs mois. C'était en janvier et la trêve hivernale empêchait Alexis d'expulser l'immigrée. Par chance pour lui, il était presque certain qu'elle était en séjour irrégulier. Il appela un commissaire de ses amis. Quelques jours plus tard, la femme était arrêtée, envoyée en centre de rétention, et Alexis récupérait son appartement. Une affaire rondement menée, se dit-il. 
Mais la même nuit, la Mauritanienne lui apparut dans son sommeil. Elle avait des yeux terribles et Alexis se trouvait insignifiant face à elle. Elle lui faisait peur.
- Tu es un méchant homme Alexis ! » La voix de la femme, puissante comme un rugissement, écrasait Alexis.
- Pitié ! Pitié ! C'est faux…
- Tu es un méchant homme ! » Répéta la femme en dévoilant une rangée de dents pointues, comme si elle s'apprêtait à dévorer le pauvre homme qui tremblait. « Ton cœur sent mauvais, il est noir et sec !
- Arrêtez… J'avoue, j'ai été dur avec vous, mais… Pardon… Pardon ! Je vous jure que je suis quelqu’un de bien !
- Tu crois ça Alexis ? Alors, écoute ma sentence : à partir de maintenant, tu seras le destinataire de tout ce que contient ton cœur. Si tu as de l'amour, il t'arrivera du bien. Si tu as de la haine, tu subiras le mal. À partir de maintenant, ta vie sera ce que tu en feras. Fais bien attention à tes sentiments, Alexis...
Sur ces paroles, la femme du rêve s'évapora de son esprit.


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Amal est dans la salle d'attente d'un bureau de placement, à Casablanca. La pièce est pleine de femmes qui discutent. Elles sont toutes là dans l'espoir d'être embauchées comme bonne à tout faire. Amal a honte d’être assise avec elles. “Ces filles ne valent pas mieux que du bétail”, se dit Amal, “elles sont si pressées de pénétrer dans le bureau du recruteur ! On dirait des vaches impatientes de se faire examiner par l'éleveur !” Amal n'aime pas l'idée d'être une boniche. Mais il faut bien qu'elle trouve de quoi vivre.
- Et toi, tu viens de quelle région ?
Amal sursaute. À côté d’elle, une grande fille à la peau burinée par le vent des montagnes attend sa réponse. Amal ne sait pas quoi dire. L'autre insiste, elle pose de nouvelles questions, intriguée et aussi un peu amusée par le silence et la mine déconfite d'Amal. Finalement, Amal lâche qu'elle n’est de nulle part. Elle n'a jamais eu de famille et elle est seule. L'autre étouffe un rire !
- Malédiction ! Tu ignores qui sont tes parents ? Autrement dit tu es une bâtarde ! Ta mère t’a abandonné pour cacher la honte ! Et tu l'annonces comme ça, à la cantonade ! Eh bien...
La fille, bien droite, détourne le regard et poursuit sur un ton moralisateur :
- Moi je préférerais être morte, plutôt qu’être la fille d'une putain, c’est sûr...
Toutes les femmes jettent des coups d'oeil indignés vers Amal. Elles s'écartent, sur le banc, pour s'éloigner d'elle. Amal baisse la tête. Elle est rongée par un sentiment d'abjection. Pas seulement à cause de l'attitude de ces personnes. Mais parce que l'humiliation de sa transformation est encore une blessure à vif pour elle.
Le lendemain de ce rêve étrange, Alexis s'était pourtant levé de bonne humeur. Il ne pensait plus aux fadaises de la nuit. Marchant dans la rue, il croisa un groupe de filles, des adolescentes qui parlaient fort. Des Arabes. « Peuh ! » se dit Alexis « voilà qu'on en rencontre partout maintenant... Elles pourraient rester dans leur quartier tout de même ! » Immédiatement, Alexis se sentit mal. Comme si une nausée s'emparait de tout son corps. Il continua à marcher, de plus en plus difficilement, puis il s'arrêta et s'accroupit par terre, adossé à la vitrine d'une boutique. Il faisait un malaise, il en était certain. Le commerçant sortit en trombe et Alexis fut soulagé de le voir. Il allait l'aider, prévenir les secours...
- Elle se croit où celle-là ! » cria l'homme en regardant Alexis. « Tu t'imagines que tu vas faire la manche devant ma boutique ! Tire-toi tout de suite, sinon j'appelle les flics !
Le commerçant repartit en maugréant. Alexis entendit les mots « salope » et « bougnoule » émerger au milieu de ses paroles indistinctes. Il ne comprenait pas pourquoi l'autre avait réagi ainsi. Un fou sans doute. Se sentant un peu mieux, Alexis se releva. Avant de partir, il jeta un regard vers l’homme, qui était retourné derrière son comptoir. Et alors, Alexis vit son reflet dans la vitrine...


Il était devenu une femme ! Une basanée ! Une... une Arabe ! Son corps s'était métamorphosé ! Alexis repensa alors au rêve de la nuit, et à la malédiction de la Mauritanienne. Toutes ses mauvaises pensées pouvaient donc se retourner contre lui ! Alexis passa un quart d'heure à se remplir la tête avec les idées les plus généreuses possible, envers tout le monde : les immigrés, les clochards, les chômeurs, les drogués... Mais cela ne changea rien à son apparence. La magie qui s'était emparée de lui savait de toute évidence faire la distinction entre les vrais sentiments et les faux.


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Amal loge dans une minuscule pièce aux murs lépreux, au dernier étage d'un immeuble serré au fond d’une rue pauvre. Il fait froid la nuit et la plomberie est hors d'usage. Amal passe toutes ses journées dans cette pièce, à faire des travaux de couture. C'est dur et mal payé mais c'est le seul travail qu'elle a réussi à trouver. La propriétaire de l'immeuble habite au rez-de-chaussée, dans un bel appartement. Après l'école, ses enfants dérobent souvent le double des clés et montent voir Amal. Ils aiment bien taquiner cette pauvre fille, qui n'ose jamais se plaindre, de peur d'être chassée de son taudis. Ils la font tourner en bourrique, ils se moquent d'elle, ils s'installent sur son lit avec leurs chaussures sales et, parfois, ils chahutent et déchirent les vêtements qu'Amal à passé la journée à coudre. Quand ils repartent enfin, la malheureuse s'effondre souvent en pleurs. Ils sont tellement cruels que l'idée de leurs visites obsède Amal à longueur de journée. Elle ne sait pas quoi faire pour les empêcher de la tourmenter.
La seule consolation d'Amal, c'est de regarder les jolies robes qu'elle coud pour les dames de la bonne société. Parfois, elle ose même les essayer. Amal est très coquette. Cette coquetterie lui est venue le lendemain de sa métamorphose.
Après sa transformation, Alexis avait passé des heures, chez lui, devant la glace. Son corps l'écoeurait. Il n'avait plus rien entre les jambes, juste une fente de femelle. Il était une belle fille, mais la teinte légèrement brune de sa peau et les traits de son visage étaient dégoûtants. Il n'était... qu'une crouille ! Il était resté prostré toute la nuit, assis devant son reflet. Puis, à l'aube, il réalisa qu'il n'y avait qu'une solution : il devait retrouver cette femme qui lui avait lancé un sort.
Alexis n'avait aucun vêtement féminin. Il s'habilla comme il put avec ses habits d'homme et il sortit. Il hésita à prendre sa voiture mais finalement, renonça. Il n'avait aucun papier correspondant à son corps féminin. Il ne pouvait courir le risque de se faire contrôler au volant d’une voiture. Il essaya de prendre un taxi, mais aucun ne s'arrêta pour cette fille bronzée étrangement couverte de vêtements trop grands. Tant pis, il se résigna à prendre le bus.
Alexis se rendit chez son avocat. Même là, il ne pouvait pas dire qui il était, bien sûr. Il attendit presque toute la matinée avant qu’une stagiaire le reçoive. Alexis lui parla de la Mauritanienne. Ils devaient empêcher son expulsion et la faire libérer, à tout prix. Alexis posa une grosse somme en liquide sur la table. Il se disait qu’une fois la femme libre, il pourrait négocier avec elle pour qu’elle lève la malédiction.
Sur le trajet du retour, Alexis manqua son arrêt. Il n'avait pas l'habitude du bus et son esprit était occupé par tant d’autres choses. Ensuite, il se trompa de ligne en prenant le bus suivant, et se retrouva finalement complètement perdu au fin fond d'une banlieue, au milieu d'une forêt de HLM. Alexis avait des coulées d’angoisse le long du dos. Atterrir dans cette zone, avec ce corps désirable de jeune Arabe était la dernière chose dont il avait besoin. Des rythmes de musique rap lui firent tourner la tête. La musique venait de la sono portable d'un groupe d'enfants qui jouaient au foot entre deux murs d'immeubles. Alexis se dit qu'ils étaient trop jeune pour être dangereux.
Il approcha pour demander son chemin. À côté des garçons quelques filles restaient sagement assises sur un muret. Des pré-ados, noires et maghrébines mélangées, feuilletant des magazines et papotant. Alexis les entendait parler nippe et maquillage. « À leur âge ! » se dit-il, « elles n'ont que ça à faire ? Le temps et l'énergie consacrés par ces merdeuses pour se rendre désirables, c’est réellement pitoyables. Et bien entendu tout ça pour se faire mettre en cloque d'ici quelques années, pondre des mômes à la chaîne et vivre sans travailler grâce à l'argent des allocs ! »
L'une des filles tourna la tête vers Alexis.
- Hé ! Visez la touche ! Celle-là, elle s'habille chez poubelle, c'est sûr...
Les filles éclatèrent de rire en regardant Alexis. Une rougeur monta à son visage. Alexis se trouvait tellement ridicule de sortir ainsi, même pas maquillée, habillée comme un épouvantail. Elle se sentait si mal qu'elle n'arrivait même pas à en vouloir à ces petites greluches qui l'insultaient. Elle fouilla ses vêtements mais ne trouva aucun miroir de poche, ni le moindre tube de rouge à lèvres. Elle était complètement démunie !
Alexis réalisa que quelque chose n'allait pas dans sa tête. « C'est quoi c'tembrouille, qu'est-ce qui m'arrive ! » Elle regardait les filles et se mettait à jalouser leurs mises soignées, leurs coiffures bien arrangées, leurs habits, leurs chaussures... Elle voyait les garçons et l’envie d’attirer leurs regards la pinçait comme une morsure. Elle n'arrivait plus à construire une pensée complexe. Elle réfléchissait comme une de ces malpropres qu'elle méprisait tant quand elle était un homme. « J'ai subi une méta... métatruc... une... une transfo... enfin un, une... Elle m'a encore niqué, quoi, c’te sorcière ! J'chuis encore changée ! À l'intérieur de dans mon crâne ! C'est mon cerveau qu'à mangé ! J'ch'peux pus parler correct ! J’réchéflis pus bon, je... Y a des choses qui m'traversent les pensées ! »
Alexis venait encore de subir la malédiction. À nouveau, sa haine venait de lui être renvoyée, anéantissant cette fois une bonne partie de son intelligence et presque toute sa culture. Dans sa tête, Alexis n'était plus capable d'être autre chose qu'une dinde superficielle et allumeuse. Elle avait les mots d'une collégienne effrontée et le niveau intellectuel d'une bimbo de téléréalité. Alexis devenait tout ce qui lui avait toujours fait peur !
Alexis s'enfuit et elle passa sa journée à faire les boutiques. C'était plus fort qu'elle, elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle revint finalement à son appartement, les bras chargés de paquets. Elle avait une dégaine de pouffiasse. Elle s'assit par terre, atterrée par ce qui lui arrivait.




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Amal a perdu son travail, elle n’a plus d’endroit où aller. Elle a faim depuis trop longtemps. Elle erre dans les rues. Elle s'arrête devant l'entrée de service d'un restaurant. Un gros homme en sort. Il porte un plat plein de restes et commence à le renverser dans la poubelle. La salive monte dans la bouche d’Amal. Elle s'approche, il la repousse.
- Rien pour toi ! Et si je te vois fouiller dans cette poubelle, je te donne le bâton ! Pas de mendiante chez moi !
Elle implore. L'homme passe soigneusement son regard le long des courbes du jeune corps d’Amal, tout en caressant sa barbe broussailleuse. Ses yeux s'arrêtent au niveau de ses seins.
- Si tu veux manger, montre-moi tes tétés ! Allez, fille de rien, soulève ! Déballe-moi ta viande ! Plus vite que ça !
Amal hésite. Elle ne veut pas être une putain. Les putains, ici, ce ne sont même pas des animaux. Juste des excréments. L'homme la gifle. Elle se décide et soulève son pull. Son soutien-gorge est troué. D'un geste brutal, l'homme le remonte pour dévoiler les deux mamelles rebondies d'Amal.
- Regardez-moi cette belle garce ! » Il soupèse les seins, tords les mamelons. « Traînée ! Tu vends ta vertu pour quelques déchets. Tu brûleras en enfer pour ça ! » L'homme a le regard luisant. Un sourire lubrique tire sur sa bouche. Il lâche les seins et s'écarte.
- La poubelle est à toi. Régales-toi bien, salope !
Elle pousse le couvercle et plonge ses mains. Il la regarde manger.
Quand elle s'en va, rassasiée mais piteuse, avec l'impression d'être salie au plus profond d'elle-même, Amal entend encore dans sa tête, obsédantes, les paroles de cet homme à propos de l'enfer. Est-ce que Dieu pourra lui pardonner, lorsqu'elle sera morte ? Amal est une telle pécheresse. De toute façon, le simple fait d'être une femme est déjà un péché. Du moins, c'est ce qu'Amal avait compris, lorsqu'elle avait découvert la religion.
C'était un mois après sa transformation. À ce moment-là, Amal s'appelait toujours Alexis. Elle s'était liée avec une bande d'immigrées venues d'une banlieue sinistre. Des pétasses du même modèle qu'elle. Elles passaient leurs journées à traîner entre les immeubles, usant leurs cinq cents mots de vocabulaire sur les sujets les plus futiles. Et la nuit, elles décoraient leur corps de bijoux en toc et de vêtements trop courts, elles se tartinaient de maquillage voyant et elles sortaient se trémousser en boîte de nuit. Les hommes qui les approchaient ne pensaient qu’à coucher avec elles. Régulièrement, des garçons du quartier les traitaient de putes. Elles faisaient semblant d’en rire mais en même temps, dans leurs yeux, éclatait une lueur de sauvagerie au milieu d’un voile de résignation triste.
Quand Alexis retournait à son appartement, parfois après plusieurs jours, elle passait des heures à pleurer de rage. Elle détestait sa vie. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de continuer. Sa seule consolation, c'était de se dire que la malédiction semblait s'être stabilisée. Elle ne subissait plus de métamorphose.
Mais Alexis se trompait, car le sort jeté sur elle était toujours actif. Trente jours exactement après sa transformation en fille, Alexis était en train d'écumer les magasins de vêtements lorsqu'elle croisa un barbu en djellaba, suivi par deux femmes voilées de la tête aux pieds. Une bouffée de mépris s’empara d’elle. Alexis les trouvait parfaitement ridicules, ces gens qui se réfugiaient dans la religion. Pour elle, s’en remettre à Dieu, ce n'était qu'une manière de fuir ses responsabilités. On s’invente un paradis par peur de se regarder en face et d’assumer la médiocrité de son existence. Ces gens, c’étaient juste des lâches en fait. « Juré, c’est pas des vraies personnes ça ! On d’vrait tous les j’ter dans un feu, tiens, un truc qui pète bien chaud et la terre s’rait mieux pour vivre » pensa Alexis, avec le vocabulaire confus qui était maintenant le sien. Elle se délectait intérieurement de cette image.
Et puis le brasier qu’elle imaginait commença à la déranger. La peur entra en elle. L’impression que c’est son âme qui allait finir dans cet enfer s’insinua dans son esprit. Amal, gênée, bascula d’un pied sur l’autre. Elle venait de réaliser qu'elle avait encore été une méchante fille ! Elle regrettait, mais son repentir venait trop tard, la punition lui avait déjà été infligée ! Il y a encore quelques minutes, Amal s’appelait Alexis, c'était une petite arabe de banlieue parlant Français. Tout cela venait de disparaître.
Maintenant, Alexis ne parlait plus que l'Arabe dialectal du Maroc. Elle était ignorante, très croyante et très craintive. Dieu était pour elle un être terrible, qui avait choisi une fois pour toutes le camp des hommes. Les femmes comme elle n'étaient faites que pour la soumission et la souffrance. Alexis avait maintenant des papiers d'identité marocains. C'était une immigrée clandestine. Sur ces papiers étaient écrit le seul mot qu'elle savait lire : son nom. Amal. Alexis ne serait plus jamais Alexis. Pourtant, Amal se rappelait qu'au fond d'elle, malgré son corps de femme, sa stupidité, et sa croyance naïve en Dieu, il y avait toujours cet homme qu’elle avait été. Mais ça ne voulait plus rien dire. Pour elle, Alexis n'était plus qu'un regret, le reflet d’une vie perdue. Le souvenir d'un temps où elle était quelqu'un.
Perdue dans ses pensées, Amal avait laissé son regard s'attarder sur le barbu et les deux femmes. L'homme la remarqua. Elle représentait tout ce qu'il méprisait : une femme sans honte, une tentatrice maquillée qui aguichait la bête dans le cœur des hommes. Il dit quelque chose en arabe aux deux formes voilées qui l'accompagnait. Elles s'approchèrent d'Amal, levèrent le bout de tissu qui recouvrait leur visage et crachèrent par terre, juste devant elle. Amal, souillée par l'insulte, resta clouée sur place. Elle était paralysée par la peur. Elle était frêle et l’homme était tout près. Il avait ramassé sa large carrure, ses mains semblaient prêtes à jaillir. Amal baissa le regard et se retourna. Perchée sur ses talons hauts, elle s’éloigna. Elle devinait les yeux qui la suivait. Elle se sentait encombrée de partout, sous cette menace qui semblait coller à elle.
Son impuissance lui donnait la nausée. Amal n’était même pas capable de répondre quand elle se faisait injurier devant tout le monde. Le pire, c'est qu'elle trouvait la réaction de l'homme justifiée. Elle n'était qu'une pécheresse.
Après ça, Amal n’osa plus sortir que décemment vêtue.



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Amal a un bon travail. Un travail dégradant et mal payé, mais pas trop difficile. Qu’est-ce qu’une fille comme Amal peut espérer de mieux ? Elle est devenue boniche finalement, pour un couple de Français émigrés au Maroc. Monsieur est vieux et il est incontinent. Amal n’aime pas nettoyer derrière lui, mais elle est là pour ça. Madame est une patronne sévère et exigeante, mais d’une certaine manière, elle est juste. Elle est efficace pour faire travailler sa boniche. Quand elle parle d’Amal, elle dit toujours qu’il ne faut pas laisser la bride sur le cou de ces gens-là, sans quoi ils ne connaissent plus leur place. Amal espère que Madame la gardera longtemps. Elle accepte tout ce qu’on lui ordonne. Elle est vraiment prête à tout pour ne pas retomber dans la misère.
Lorsqu’elle était encore en France, Amal pouvait encore profiter de l’argent qu’elle avait économisé, du temps où elle s’appelait Alexis. Et elle avait un logement où dormir. Mais un contrôle d’identité dans la rue l’avait amené dans un centre de rétention pour les étrangers en situation irrégulière. D’un coup tout ce qui lui restait de confort lui fut enlevé. Amal ne parlait pas un mot de Français, elle ne connaissait personne, elle ne possédait rien à son nom, la décision de l’expulser fut expéditive.
Avant d’être embarquée dans l’avion de ligne qui allait l’envoyer au Maroc, elle croisa la Mauritanienne. Celle-là sortait du centre de rétention, libre. Un grand avocat Parisien avait mystérieusement été payé pour la défendre et, après de longues démarches, il avait obtenu son élargissement. L’ancienne locataire d’Alexis fixa Amal. Ses yeux semblaient regarder à travers la pauvre Arabe perdue et abandonnée, pour voir Alexis sous cette enveloppe. Elle lui dit, avec un sourire mauvais :
- Eh bien, il ne t’a pas fallu longtemps pour en arriver là…





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